2. Un cas typique d'anthropologie naturaliste : Hobbes (1588-1679)

L'homme est « par nature » égoïste et orgueilleux, et comme il vit avec ses semblables, l'état de nature de l'humanité est « l'état de guerre de tous contre tous ». Cette situation déplorable se comprend du point de vue économique : compte tenu de la rareté des biens, les conflits sont inévitables. Ils le sont encore moins du point de vue de l'orgueil, qui pousse l'individu à s'afficher comme supérieur aux autres et, par là, à les humilier. L'état de guerre est évidemment nuisible : comment en sortir ?

Hobbes admet bien que chacun, par sa raison, est sensible à la présence des lois morales, qu'il désigne aussi comme naturelles. Elles commandent de s'entendre avec autrui et de respecter les engagements que l'on a pris. Mais le doit-on vraiment si l'on ne peut faire confiance aux partenaires ? Sûrement pas, pense Hobbes, de sorte que l'humanité ne sera pas libérée de l'état de guerre par le respect de ces lois.

Les hommes n'en sortiront que par l'effet du pacte social, par lequel ils décident de renoncer à l'emploi de leur propre force au profit d'un souverain, dont la puissance, sans limites dans la société, dissuadera de toute velléité de rébellion et garantira la sécurité de tous. Avec le règne du souverain, les citoyens auront renoncé à leur liberté pour vivre en société.

La puissance du souverain est subordonnée à celle de Dieu le Créateur, dont l'existence n'est pas douteuse pour Hobbes, qui impose au souverain le souci du bien commun. Mais comme les pouvoirs du souverain sont sans limites dans la société, c'est à lui qu'il appartient de décider quelle religion sera en vigueur dans son règne.

Si, à la manière de Hobbes, on part de l'égoïsme et de l'orgueil, ou de quelque autre pulsion, pour concevoir la réalité humaine, on se confrontera nécessairement à la question des relations entre les personnes et à la question des relations des personnes avec le pouvoir politique. Si les relations ont une telle importance, dans une anthropologie ainsi conçue, quelle est alors la différence avec l'anthropologie relationnelle de Buber ? C'est que les relations, ici, sont ou de malveillance mutuelle à l'état de nature, ou de domination humiliante du souverain sur les citoyens dans l'état de société. Ce qui est hors jeu, dans un cas comme dans l'autre, c'est la possibilité de la reconnaissance mutuelle positive. Quand on se laisse fasciner par l'idée de la puissance politico-religieuse qui domine tout, on passe à côté de la possibilité de reconnaître un autre type de présence.

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